ISSN 2271-1813

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Dictionnaire de la presse française pendant la Révolution 1789-1799

C O M M A N D E R

   

Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 727

JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE 2 (1760-1792)

1Titres Journal ecclésiastique ou Bibliothèque raisonnée des sciences ecclésiastiques.

2Dates Octobre 1760 - juillet 1792; mensuel; 12 livraisons par an, supplément en juin et en décembre (Supplément au Journal ecclésiastique ou Choix des Discours et des textes des SS. Pères, les plus propres à l'Eloquence de la Chaire et au Tribunal de la Pénitence, 1760-1771, puis Supplément au Journal ecclésiastique ou Choix d'instructions familières, d'homélies... sur toutes les matières importantes du dogme, de la morale, de la discipline de l'Eglise..., 1772-1786). 14 volumes par an. Privilège daté du 21 août 1760.

3Description Un tome numéroté en chiffres romains, composé de trois parties, par trimestre, entre 1760 et 1786 (105 tomes). Trois tomes par an de 1788 à 1791. Pas de tomaison indiquée en 1787 et 1792. 80 p. par mois d'octobre 1760 à septembre 1761, 288 p. par trimestre d'octobre 1761 à décembre 1786. Ensuite au moins 96 p. par mois (pagination continue par quadrimestre de 1788 à 1791, par semestre en 1792): «Nous n'en retrancherons jamais; mais lorsque les matières l'exigeront, nous ne ferons pas difficulté d'y ajouter» (janv. 1788, p. 119).

Format in-8º, puis in-12, 100 x 165 environ.

Devise: «Veritatem in charitate facientes. Zèle de la vérité en esprit de charité. S. Paul, Eph., ch. 2» (apparaît de manière irrégulière en page de titre); «In necessariis Unitas, in dubiis Libertas, in omnibus Charitas. En ce qui concerne les choses nécessaires, il faut s'en tenir à l'unité de la Foi; dans les choses problématiques et douteuse, on peut user de Liberté; mais dans les unes et les autres, il faut garder la Charité» (en tête de mois et supplément).

4Publication 1760-1764: Paris, J. Barbou, libraire-imprimeur, rue Saint-Jacques, près la Fontaine Saint-Benoît, Aux Cigognes. 1765 - août 1766: Paris, J. Barbou, imprimeur-libraire, rue et vis-à-vis la Grille des Mathurins, et C.J. Panckoucke, libraire, rue de la Comédie-Française. Sept. 1766 - 1782: J. Barbou (même adresse) et Lacombe, libraire, quai de Conti (puis rue Christine). 1783 - févr. 1787: J. Barbou (même adresse). Mars 1787 - juil. 1792: Paris, Crapart, libraire (puis de l'imprimerie J.B.N. Crapart), place Saint-Michel (rue d'Enfer, nº 129, mai - déc. 1791).

Abonnement annuel de 8 # 8 s. (par la poste 12 # 12 s. à raison de 6 s. pour le port de chaque volume) entre 1760 et 1762. Passe, malgré les promesses du rédacteur (oct. 1760, Préface, p. X) à 9 # 16 s. (par la poste, 14 # à raison de 6 s. pour le port de chaque volume) en 1763. 12 # pour Paris; 15 # 12 s., franc de port, pour la province entre 1788 et 1792.

5Collaborateurs Fondateur: abbé Joseph-Antoine-Toussaint DINOUART (catalogue de ses œuvres par lui-même dans le J.E., nov. 1780, p. 184-188). Remplacé après sa mort (3 avril 1786) par l'abbé Jean-Baptiste de MONTMIGNON, qui laisse la place à l'abbé Augustin BARRUEL (1788-1792).

6Contenu Le journal vise à améliorer la formation en sciences ecclésiastiques des prêtres qui, par manque de moyens et de temps, en négligent l'étude: «C'est rendre un véritable service aux Ecclésiastiques que de leur présenter chaque mois ce qu'il y a de plus judicieux sur les Sciences Ecclésiastiques, de leur en donner une analyse exacte, raisonnée, d'offrir même des pièces entières quand elles sont courtes, ou que l'importance du sujet l'exige. Un ouvrage de ce genre leur présentera tout ce qu'il y a de bon dans les in-folio et les suites d'in-12 que la vie la plus longue ne peut parcourir. C'est donc avec raison que je donne à cet ouvrage le titre de Bibliothèque Ecclésiastique» (oct. 1760, Préface, p. II).

Matières proposées: «L'Ecriture Sainte; les Conciles; la Théologie Dogmatique et Morale; l'Histoire Ecclésiastique, Universelle et Nationale; les Ecrivains Ecclésiastiques; l'Eloquence de la Chaire; les Antiquités Ecclésiastiques et Monastiques; la Discipline; la Liturgie; les Matières Bénéficiales; Mémoires sur les Hommes célèbres dans le Clergé Séculier et Régulier; les Décisions du Clergé et de la Faculté de Théologie; les Arrêts des Cours Souveraines sur les affaires Ecclésiastiques; Belles-Lettres; Etude de la Nature» (ibid., p. III).

Distribution des matières: «Je ne rangerai pas toujours les matières de ce Journal selon l'ordre régulier qu'elles paraissent exiger: 1º. Je veux répandre beaucoup de variété. 2º. Les Savants sont curieux de réunir les dissertations, les recherches et les pièces rares ou singulières que je fournirai. Pour leur procurer cette satisfaction, je placerai à la fin des desseins de Sermons et l'annonce des livres, afin qu'ils puissent les détacher à leur volonté» (ibid., Avis particulier). Ces «annonces de livres nouveaux» sont elles-mêmes assez souvent suivies de poèmes ou d'épigrammes. Devenues en 1787 «annonces littéraires», c'est-à-dire de véritables analyses d'ouvrages, elles passeront en tête du journal. A la fin de celui-ci apparaîtra en 1788 une rubrique intitulée «nouvelles ecclésiastiques», qui au cours de la période révolutionnaire rendra un compte quasi journalier des décrets pris par l'Assemblée nationale et de leurs conséquences pour le clergé.

Participation des lecteurs par l'envoi de manuscrits, dissertations, mémoires édifiants, sermons, lettres, cas de conscience (questions ou réponses), pièces de vers.

Table des articles à la fin de chaque mois (1760-1786), puis à la fin d'un tome ou d'une année (1788-1792). Table des matières à la fin de chaque année (1761-1786). Les livraisons de décembre 1771 et décembre 1781 sont tout entières consacrées à une «table des matières contenues» et à un «catalogue des principaux ouvrages annoncés dans le Journal ecclésiastique» entre 1760 et 1771, 1772 et 1781.

7Exemplaires B.N., H 8690/820; Ars., 8º H 26254 et 8º H 26255. Collections importantes à Ste G. et l'Institut catholique de Paris.

8Bibliographie H.G.P., 2e partie, p. 271, 284 et 3e partie, p. 492; H.P.L.P., t. III, p. 167.

Rééditions partielles: Dinouart, «Lettre de l'auteur du Journal ecclésiastique à M***, médecin de R..., sur l'onguent de l'abbaye du Bec, en Normandie» (extrait du J.E., sept. 1766 et années suivantes), Paris, impr. de Pollet, 1848, in-8º, 4 p.; «Plan du J.E. ou de la Bibliothèque raisonnée des sciences ecclésiastiques...», Paris, Barbou, 1762, in-8º, 8 p.; Barruel, «De la conduite des curés dans les circonstances présentes, lettre d'un curé de campagne à son confrère, député à l'Assemblée nationale» (extrait du J.E., déc. 1790), Paris, Crapart, s.d., in-8º, 8 p.; «Développement du serment exigé des prêtres en fonction par l'Assemblée nationale» (extrait du J.E., déc. 1790), Paris, Crapart, s.d., in-8º, 16 p.; «Préjugés légitimes sur la Constitution civile du Clergé et sur le serment exigé des fonctionnaires publics» (extrait du J.E., janv. 1791), Paris, Crapart, s.d., in-8º, 16 p.; «Question décisive sur les pouvoirs ou la juridiction des nouveaux pasteurs» (extrait du J.E., août 1791), Paris, Crapart, 1791, in-12, paginé 286-488.

Présentation du J.E. dans L'Année littéraire (1765, t. VIII, p. 355-356), Le Censeur hebdomadaire (1760, t. IV, p. 260), l'Histoire littéraire de la ville d'Amiens du père L.F. Daire (Paris, 1782, p. 354) et les Nouvelles ecclésiastiques, mars 1761, p. 9.

Historique La carrière du Journal ecclésiastique commence par une rivalité avec son homologue le Journal chrétien (1758-1764), suite des Lettres sur les ouvrages de piété (1754-1757), dirigé par l'abbé Joannet. Rivalité d'autant plus vive que l'abbé Dinouart collaborait au Journal chrétien lorsqu'il entreprit de fonder en octobre 1760 son propre journal. Le succès du Journal ecclésiastique, approuvé par le pape et plusieurs archevêques (J.E., juin 1761, p. 79), dépasse ses espérances, au point d'exiger dès 1761 une augmentation des tirages et une réimpression partielle (voir L'Année littéraire, t. VIII, p. 355). Un Avertissement des libraires, dans le numéro de janvier 1765, consacre finalement sa victoire: «Le sieur Panckoucke, Libraire, d'accord avec le Sieur Barbou, Imprimeur-Libraire, à Paris, est convenu de ne plus imprimer à l'avenir [...] le Journal chrétien, le Public s'étant décidé en faveur du Journal ecclésiastique, composé par M. l'abbé Dinouart. Ce Journal qui depuis plusieurs années jouit du plus grand succès, mérite à juste titre la préférence. Sa matière est beaucoup plus instructive et plus variée que celle du Journal chrétien, et sous le même volume, il contient presque le double. La modicité du prix auquel il est fixé permet aussi plus facilement à Messieurs les Curés et autres Ecclésiastiques d'en faire l'acquisition.» (voir également L'Avant-Coureur, nº 1, lundi 7 janv. 1765, p. 14).

Ce souci d'économie, qui apparaît aussi au niveau des livres conseillés (juil. 1778, p. 94), nous aide à définir le «lectorat» du Journal ecclésiastique. Parmi les ecclésiastiques, il faut distinguer les curés de campagne aux revenus et aux talents modestes. C'est à eux — comme aux supérieurs des communautés religieuses (voir juil. 1761, p. 71) — que Dinouart destine les plans de discours: «Un curé dans la campagne qui n'aura pas le talent de la composition peut confier ces discours à sa mémoire, et s'en servir pour instruire son peuple» (Plan du J.E...., 1762, p. 6). C'est à eux que s'adressent encore les annonces d'ouvrages traitant d'agriculture (voir note de janv. 1761, p. 75), à la fois pour les délasser et les rendre utiles: «ils pourront instruire leurs paroissiens sur la culture et l'amélioration des terres» (oct. 1760, p. VI). Les fréquentes annonces médicales procèdent du même principe utilitaire (remède contre les piqûres de guêpes en juin 1762, poudre purgative en janvier 1772, et surtout onguent du Bec qui occupe le journal plusieurs années durant, sept. 1766, mars 1767, oct. 1768, août 1770, sept. 1771...). Mais Dinouart tient également compte des ecclésiastiques savants, tentant d'observer un juste équilibre entre leur demande et les besoins des ministres moins cultivés: «J'ai deux sortes de lecteurs dans l'Etat Ecclésiastique, et je dois consulter leur goût particulier. Les uns mènent une vie tranquille, les autres sont chargés des fonctions du Ministère. Les premiers seront peu curieux de trouver dans mon Journal des conférences et des analyses de discours, etc., parce qu'ils ne sont pas dans l'obligation d'en faire usage. Les seconds se plaindraient avec raison de n'y pas lire ces matières qui les intéressent. Pour satisfaire les uns et les autres, j'ai pris le parti de joindre l'utile et l'agréable; de donner des matières de Théologie et d'instruction pour les uns, et des pièces curieuses et de pure érudition pour les autres» (oct. 1760, Avis particulier). Enfin, en 1765, après l'accord entre les libraires, le journal semble étendre ses ambitions à un public profane, c'est-à-dire «à toutes les personnes pieuses qui vivant dans le monde, désirent connaître les vérités de la Religion, la discipline, les mœurs et l'histoire de l'Eglise, et nourrir leur âme par une lecture instructive et solide» (janv. 1765, Avertissement des libraires).

On observe à partir de ce moment un glissement. D'une part, les annonces de livres se développent et les traités abrégés de théologie supplantent les conférences de théologie qui faisaient avec eux double emploi, ces dernières étant remplacées par un nombre plus élevé de plans raisonnés, de discours moraux et panégyriques, d'ouvrages historiques. D'autre part, le journal multiplie les offres de livres d'occasion (janv. 1767: vente de collections du Journal de Trévoux, de L'Année littéraire, du Journal encyclopédique, du Journal de Verdun, du Journal des savants...), d'estampes (août 1776), de portraits de saints (sept. 1783), d'antiphonaires (oct. 1767) et transcrit les propositions de souscription (sept. 1767 par ex.).

L'abbé Dinouart reste toutefois exigeant sur la qualité, refusant de présenter des ouvrages dont il n'aurait pu vérifier la valeur: «je préviens les Sieurs Libraires de Paris et des Provinces, qui m'adressent des annonces de livres nouveaux qu'ils mettent en vente, qu'il est inutile de m'en envoyer, s'ils n'y joignent en même temps l'ouvrage même. Quelquefois ces annonces sont d'un style emphatique, et souvent suspectes, parce qu'elles viennent de personnes qui ont intérêt à faire valoir l'ouvrage. Je suis bien décidé à n'annoncer aucun ouvrage, à moins que je ne l'aie lu avec attention, pour être en état d'en rendre compte aux Lecteurs du Journal» (juil. 1778, p. 93-94). L'abbé se fait, en effet, une haute idée de ses devoirs envers le public. C'est pourquoi il rejette certains envois de lecteurs: les poèmes dont le sujet n'a rien d'ecclésiastique (oct. 1771, p. 95) ou qui ne sont pas assez travaillés (sept. 1769, p. 284), les cas de conscience trop connus ou trop faciles à résoudre (févr. 1779, p. 191), les réponses qui ne sont pas assez raisonnées (juil. 1778, p. 95). «Les Lecteurs qui pensent bien me sauront toujours gré d'être un peu difficile dans le choix des Pièces que j'insère. D'ailleurs, je m'intéresse de tout mon cœur à la réputation de ceux qui daignent coopérer à rendre ce journal instructif, et je me reprocherais d'y admettre une seule Pièce qui pourrait ne pas leur obtenir les suffrages des Lecteurs instruits, ou les exposer à la malignité de la critique, trop commune parmi les hommes» (juil. 1778, p. 95). D'ailleurs, par crainte de celle-ci, sans doute échaudé par la mésaventure qui le conduisit au Châtelet pour avoir dans le Journal chrétien accusé Sainte-Foix d'athéisme, il se retranche volontiers derrière l'autorité du Censeur royal (mars 1776, p. 287; déc. 1778, p. 226).

Ainsi Dinouart assure-t-il la valeur du Journal ecclésiastique, tout en l'ouvrant largement aux lecteurs. Solidité et bon ton sont les maîtres mots des volumes qu'il dirige. L'attitude du journal par rapport à la philosophie des Lumières en offre un bon exemple. Si le Journal ecclésiastique prête main forte aux défenseurs du christianisme en annonçant avec conviction leurs publications (oct. 1776, p. 95; nov. 1780, p. 190; mai 1785, p. 191), ce n'est jamais avec véhémence. Rien de passionnel dans la lutte de Dinouart contre l'incrédulité. Par exemple, à propos de l'ouvrage de L.G. Gin, De la religion par un homme du monde, destiné à combattre le Système de la nature (d'Holbach), il écrit posément: «C'est ici un des bons ouvrages entre ceux qu'on a donnés au Public sur semblable matière; il mérite d'être recherché, lu et relu avec attention» (juin 1779, p. 281). De même, il écarte résolument une pièce de vers intitulée «Epître du Diable à l'Auteur Anti-Chrétien» qui «serait déplacée dans ce Journal» (oct. 1771, p. 95). Et les quelques épigrammes contre les incroyants (août 1769, sept. 1785) ne parviennent pas à rompre ce ton de modération dont l'abbé Dinouart, fidèle en cela à la devise du Journal ecclésiastique, ne se départ pas, fût-il question des jansénistes Nouvelles ecclésiastiques (août 1782, p. 182).

Aussi, quand l'abbé de Montmignon prend au pied levé en 1786 la relève de Dinouart, peut-il rendre hommage à son défunt prédécesseur pour «son zèle à répandre les lumières qu'exige l'Ordre sacerdotal» sans sacrifier au vain «sel de la critique». Le bilan qu'il dresse de son travail est très positif: «l'expérience a prouvé qu'il [Dinouart] était parvenu à exciter le goût, l'émulation et le travail parmi ses souscripteurs: on a vu d'excellentes Dissertations se succéder dans le Journal ecclésiastique après avoir pris naissance dans les campagnes les plus champêtres» (juin 1786, «Réflexions préliminaires du continuateur de ce Journal», p. 195). Pendant vingt-six ans, effectivement, le Journal ecclésiastique avait été un organe de formation aussi bien qu'un lieu d'échanges pour les ecclésiastiques français.

Son «continuateur» affirme son intention de poursuivre sur cette lancée: le Journal ecclésiastique ne doit pas, selon lui, être simplement récréatif, ni même seulement édifiant, il doit être avant tout instructif. «Il résulte de là qu'un Rédacteur qui ne serait qu'un homme de lettres ne serait pas propre à suivre la méthode de M. l'abbé Dinouart, il est absolument nécessaire qu'il soit théologien ou juriconsulte, pour pouvoir instruire sur les différents genres dont nous venons de parler» (ibid.). Et, à la suite de Dinouart, le nouveau rédacteur lance un appel pressant aux lecteurs, dans l'espérance de «lumières réciproques» (juin 1786, p. 287).

Malgré tout, au cours de ses quelques mois de direction, Montmignon apportera une touche personnelle au Journal ecclésiastique, en créant en janvier 1787 une rubrique d'«annonces littéraires», qui passera au premier plan en mars 1787. De juin à décembre 1787, on notera aussi une rubrique appelée «variétés» consacrée à des anecdotes, comme le geste courageux de ce curé sautant dans un puits pour sauver un maçon (déc. 1787, p. 95).

Le passage de Montmignon à la rédaction du Journal ecclésiastique marque une transition vers la formule barruelienne, qui fera la part belle aux «annonces littéraires» et comportera une rubrique régulière de «nouvelles ecclésiastiques», héritière sans doute de ces «anecdotes ecclésiastiques, historiques et littéraires» apparues fugitivement dans le journal en avril 1768, mais surtout de ces «variétés» récemment proposées par Montmignon.

Dès l'arrivée de Barruel, en janvier 1788, le Journal ecclésiastique produit un nouveau prospectus, qui précise en six points les intentions de la «Société de gens de Lettres» constituée, dit-on, pour les besoins du journal: 1) donner une «analyse raisonnée» des ouvrages nouveaux relatifs à la religion; 2) donner des «notions succinctes» des autres; 3) fournir des comptes rendus détaillés, voire des traductions, de livres étrangers à caractère religieux; 4) publier des dissertations inédites touchant à l'Ecriture, au Droit canon et à l'histoire de l'Eglise; 5) proposer des éloges historiques de personnes vertueuses; 6) annoncer «les divers événements qui peuvent intéresser la religion en général, le clergé, les églises particulières, les missions», ainsi que les jugements des causes ecclésiastiques, avec parfois un article d'économie rurale.

Sous la direction de Barruel, le Journal ecclésiastique devient, pour reprendre la distinction de Dinouart, à la fois moins érudit et moins utilitaire (disparus les plans de sermons, les cas de conscience...). Si les sujets qu'il propose restent religieux, son objectif semble se transformer. La volonté éducative se fait discrète, se limitant à des incitations, par exemple à évoquer en chaire le dogme de l'Enfer (avril 1788, p. 399) ou à lire d'édifiantes biographies (sept. 1788, p. 27). Il ne s'agit plus tant de former le clergé que de l'informer: «Les arts et les sciences profanes [...] ont cent bouches ouvertes pour annoncer leurs productions, pour les analyser, les détailler, et réveiller sur eux l'attention du public. Pourquoi nos écrivains religieux n'auraient-ils pas quelques voix toujours prêtes à s'élever pour eux, à donner à leurs livres plus de publicité?» (janv. 1788, p. 9). Dans l'esprit de l'auteur des antiphilosophiques Helviennes, le Journal ecclésiastique est un moyen de «seconder le zèle des vrais apologistes de la religion» (janv. 1788, p. 8).

En 1788, bien des grands noms du monde «philosophique» seront ainsi égratignés avec l'alacrité coutumière à l'abbé Barruel: d'Alembert pour son Histoire des membres de l'Académie française (mars 1788, p. 229; avril 1788, p. 351), Helvétius pour De l'esprit (mars 1788, p. 258), et passim, Voltaire, Rousseau, Montesquieu... Les rares ouvrages d'apologistes chrétiens qui paraissent cette année-là sont en revanche présentés avec enthousiasme (l'Encyclopédie méthodique de l'abbé Bergier en septembre, Les Délices de la religion de l'abbé Lamourette en novembre et décembre). Même le livre de Necker sur L'Importance des opinions religieuses reçoit un accueil plutôt favorable. Necker, lit-on, a médité à juste titre sur la connexion entre le bien de l'Etat et les convictions religieuses, mais, homme d'Etat, il a manqué de formation ecclésiastique: «nous qui les avons faites par devoir, ces études, nous serons bien excusables, dans un Journal ecclésiastique, de ne pas tout louer également, de distinguer l'ivraie du bon grain, et de montrer l'erreur où celui qui l'écrit ne la soupçonnait pas» (mai 1788, p. 52). Séparer le bon grain de l'ivraie semble bien être désormais une des finalités essentielles du journal, qui se livre à une analyse serrée des ouvrages parus. Parallèlement, le Journal ecclésiastique devient un périodique corporatiste, qui rend longuement compte des conflits internes au clergé, comme celui qui oppose abbés commendataires et religieux des abbayes (mars 1788, p. 310) ou encore, cette querelle entre l'abbé de Vigne et le chapitre de Marseille à propos de l'attribution de l'archidiaconé, qui défraie la chronique en avril, juin et septembre 1788.

L'année 1789 est marquée, quant à elle, par la politisation du journal. Après une année d'auto-censure, le Journal ecclésiastique manifeste son intérêt pour les affaires de l'Etat: «Voués à des travaux qui ont enfin donné à ce Journal une nouvelle consistance, nous nous sommes assidûment tenus dans les limites que son objet essentiel nous prescrivait. [...] Les besoins de l'Etat, la détresse publique, ce déficit immense annoncé dans le trésor du fisc, les révolutions de la magistrature, les troubles des provinces, les dissensions des divers ordres de la société, ont semblé échapper à notre attention [...]. Mais que nos sentiments seraient bien peu connus, si le silence que nous avons gardé pouvait rendre suspect tout l'intérêt que nous avons dû prendre à des événements trop semblables à ceux qui devancent des révolutions plus funestes encore» (janv. 1789, p. 3-6). Les «nouvelles ecclésiastiques», ainsi que — à la demande des souscripteurs (ibid., p. 82) — les «annonces littéraires», feront donc désormais état de tout ce qui touche aux Etats généraux: nombre des évêques députés (avril, p. 450), délibérations du clergé sur les immunités ecclésiastiques (mai, p. 31), ouverture des Etats généraux et événements qui s'ensuivent (juin, p. 204), puis déclaration des Droits de l'homme (sept., p. 99-104), décrets pris par l'Assemblée nationale du 30 septembre au 13 novembre (nov., p. 305-309).

Les années 1790-1792, enfin, sont celles de l'engagement: «Dieu des Bourbons, ranime les pasteurs de ton empire! par eux tu appelas la France à la religion de l'Evangile; par eux le plus puissant des rois, et tout son peuple furent le roi, le peuple très chrétien; par eux soutiens encore ce titre si cher à nos ancêtres! que la France doive à son sacerdoce de rallumer le flambeau de sa foi: qu'elle triomphe des ennemis de son église» (janv. 1790, p. 57). Significativement, Augustin Barruel signe désormais ses textes, dont le nombre et l'étendue s'accroissent. Le compte rendu des mesures touchant le clergé se poursuit (décret sur la suppression des ordres religieux en mars 1790, cession aux municipalités des biens du clergé en avril 1790, établissement de la liste des métropoles et évêchés en juillet 1790, serment exigé des prêtres en octobre 1790, etc.). Mais il se double de discours, lettres, mandements, qui alimentent un véritable débat sur des sujets comme le mariage des prêtres (oct. - déc. 1790, avril 1791) ou la Constitution civile du clergé. Ainsi, en juillet 1790, le discours de l'archevêque d'Aix s'insurgeant contre la dite Constitution fait-il suite aux thèses de Treilhard qui sont favorables à celle-ci. En août 1790, ce sont les opinions du pro-constitutionnel Camus et de l'anti-révolutionnaire Goullard qui se succèdent. Barruel, lui, distribue selon les cas blâme ou louange et exhorte, le plus souvent dans des discours, ses confrères à la résistance au serment constitutionnel: «Si notre conscience nous permet de le faire, il faut le faire, parce qu'il faut qu'un prêtre soit citoyen; si notre conscience s'y oppose, il faut être chrétien, catholique, prêtre, et savoir mourir plutôt que de le faire» (déc. 1790, p. 421-422). Pour ranimer le courage des prêtres, l'abbé reproduit les instructions pastorales des prélats insermentés (archevêque de Paris, janv. 1791, évêque de Vence, avril et mai 1792), publie des listes de réfractaires (févr. 1791, mai 1792), les brefs réprobateurs ou réconfortants du Pape (avril, mai, sept. 1791; avril 1792) et réclame des précis historiques sur la vie diocésaine, avec «un détail de quelques faits particuliers les plus marquants, les plus intéressants en ce genre, surtout lorsqu'ils feront davantage ressortir la constance de nos ecclésiastiques de tous les ordres, ou des religieux, des religieuses, et même des laïques» (déc. 1791, p. 417). En contrepoint, l'attitude timorée du fameux évêque Lefranc de Pompignan n'inspire à Barruel qu'un mépris ironique: «Il fut un de ces hommes qui, par crainte du bruit, n'osent même pas souffler quand l'ennemi est aux portes; qui se rangent même sous ses bannières, sous prétexte de l'engager à faire moins de mal» (févr. 1791, p. 281). Douloureux pendant des cas de conscience antérieurs à la Révolution, d'urgentes questions de doctrine sont ailleurs débattues: quelle valeur a l'absolution donnée à l'article de la mort par un prêtre intrus? (déc. 1791, p. 445). Un prêtre peut-il accepter la place de vicaire dans la paroisse d'un curé jureur? (janv. 1792, p. 115). En avril 1792, le bref de Pie VI, daté du 19 mars, que Barruel cite dans ses XXXIV articles, vient mettre fin à ce type d'incertitudes.

Le Journal ecclésiastique se termine brutalement en juillet 1792, sans autre signe annonciateur qu'une lettre de l'abbé Beauregard donnant copie d'une pétition en faveur de la déportation des prêtres réfractaires (p. 79-87). «Ce peut bien être là, écrit Barruel, un patois et une orthographe des paysans; mais très certainement la scélératesse et l'atrocité de ces calomnies est d'une classe d'hommes qui ne naissent pas auprès de la charrue» (p. 95). Ultime sentiment d'un journaliste militant qui allait, deux mois plus tard, partir en exil pour dix ans.

Ainsi prenait fin un journal qui avait formé pendant trente-deux ans les ecclésiastiques français et même étrangers (par le biais de traductions, voir juin 1786, p. 196), d'abord en les instruisant sur les matières ecclésiastiques, puis en dirigeant leur opinion au moment de la Révolution. Le Journal ecclésiastique possède de ce fait, malgré son caractère hyperspécialisé et doctrinal, une indéniable importance historique. L'historien y trouvera aussi une précieuse source d'information sur les réactions du clergé à l'égard de la Révolution (divergences d'opinions, évolution, raisons du «schisme») ainsi que sur la misère matérielle, intellectuelle et morale de nombreux membres du bas clergé de province. La sollicitude de Dinouart à leur égard est éloquente: «Comment exiger qu'un Curé, qu'un Vicaire, qui souvent n'ont que le pur nécessaire, puissent avoir d'autres livres qu'une Bible et un Bréviaire?» (oct. 1760, p. II). «Ceux de la campagne se trouvent souvent vis-à-vis d'eux-mêmes en sortant de leur cabinet, et ne paraissent au dehors que pour promener leur solitude; il faut donc leur procurer quelque plaisir utile» (ibid., p. VI). Leurs demandes mêmes, dont les notes du Journal ecclésiastique se font l'écho, nous renseignent sur leurs manques et leurs besoins: leur vœu réitéré de disposer de plans de discours, leur rejet des traductions des Pères au profit des sermons (voir Avertissement du supplément, juin 1772, p. 3), leur intérêt pour les cas de conscience résolus par de savants théologiens expriment assez combien ils peuvent être démunis. Le Journal ecclésiastique offre enfin une intéressante image du curé de campagne idéal, homme de foi mais aussi dispensateur de remèdes médicaux et agent des progrès agricoles: «On connaît les gens de la campagne, et combien ils sont attachés à leurs anciennes routines, bonnes ou mauvaises. On ne peut les faire changer que par la persuasion, et [...] un curé peut plus facilement que tout autre produire ce bon effet. Il pourrait même, dans le cas où il aurait des terres en propre ou appartenantes à son bénéfice, donner l'exemple, en faisant le premier les expériences proposées» (janv. 1761, p. 75). Le voisinage de recettes médicinales et de conseils de jardinage avec des conférences ecclésiastiques ou des traités de droit n'est donc pas aussi incongru qu'il a pu le paraître à certains contemporains de Dinouart (cf. Daire, 1782, p. 354). En raison de sa longévité, de la diversité de son contenu, du contexte dans lequel il fut rédigé, le Journal ecclésiastique présente un intérêt très général, et ne se limitant pas aux seuls ecclésiastiques.

Sylviane ALBERTAN-COPPOLA

 


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