ISSN 2271-1813

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Article «Littérature» ébauché pour l'Encyclopédie

 

Liste des additions et corrections

 

Article «Littérature» ébauché pour l’Encyclopédie

Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, Voltaire Foundation, t. 33, 1987, p. 221-224

 

Fiche établie par André Magnan

Version 1, 3 mars 2010

 

1. Texte

L’objet de l’Appendice II adjoint à l’édition des «Articles pour l’Encyclopédie» (p. 1-231) est de discriminer entre deux hypothèses le devenir incertain d’une ébauche qu’on sait avoir été envoyée par Voltaire à d’Alembert, en mai 1754, pour un article «Littérature» qui devait amorcer sa collaboration à l’entreprise. L’alternative posée par les éditeurs peut se formuler comme suit : ou bien le texte est devenu, une fois «retravaillé», l’article «Littérature» de l’Encyclopédie paru en 1765 sous la signature du chevalier de Jaucourt (t. IX, p. 594-595); ou bien le morceau resté sans emploi est entré en 1819 dans le «Dictionnaire philosophique» d’une édition dirigée par Beuchot, sous la forme d’un «fragment» intitulé «Littérature», dont Beuchot précisa, en le réimprimant en 1829, qu’il le donnait «d’après un manuscrit de la main de Wagnière, avec des corrections de la main de Voltaire».

À la différence de Moland, qui reconduisait l’apport et la note justificative de Beuchot (t. XIX, p. 590-592), les éditeurs optent pour l’hypothèse du texte perdu mais fondu dans sa réécriture. Ils reprennent la solution élaborée par Besterman dans un appendice de la correspondance (D.app.136, OC, t. 99, 1971, p. 492), sur la base de «similitudes» jugées «frappantes», en fait d’ordre thématique et assez convenues, entre les trois lettres de 1754 relatives à l’ébauche, l’article encyclopédique «Littérature» et l’entrée «Lettres, gens de lettres» du Dictionnaire philosophique. L’hypothèse alternative fait l’objet d’un examen sommaire pour ne pas dire expéditif, et uniquement à charge: «Ce manuscrit [celui auquel référait Beuchot] n’a pas été retrouvé, et c’est fort regrettable car on peut sans doute suspecter Beuchot de n’avoir pas fourni une transcription correcte. Nous ignorons aussi si le manuscrit portait un titre, ou si Beuchot l’a imaginé, et s’il était réellement, malgré son tour lexical, destiné à une œuvre alphabétique. Aucun élément de l’imprimé ne permet de répondre à ces questions» (p. 221-222). L’identification alléguée de la main du copiste aggrave le cas: Wagnière n’était pas au service de Voltaire en mai 1754, il n’y entra qu’à la fin de l’année. La seule concession est l’attribution, évidente à la simple lecture : «L’article, si article il y a, est sans aucun doute de Voltaire» (p. 222) – il suffisait d’entrer dans ce «si» pour voir d’un œil plus neutre la découverte et l’initiative du grand devancier.

Dans un dilemme ainsi biaisé, défini a priori comme celui de «deux textes du même auteur portant sur un même sujet», les éditeurs retiennent, pour représenter l’ébauche introuvable de 1754, le texte de l’article de 1765, en y effaçant la signature de Jaucourt puisqu’ils le croient «réécrit avec [l’]assentiment [de Voltaire]»: ce texte est donc repris à la suite (p. 222-224). Quant au morceau révélé par Beuchot, on devrait le retrouver relégué «parmi les écrits et fragments divers», dans un dernier volume de Varia encore à paraître (Provisional table of contents, p. 53).

2. Manuscrits

Un manuscrit de l’ébauche conservé à la BnF (cote N.a.fr. 2778, f. 48-49 et 81-82) valide pleinement l’hypothèse Beuchot, en éclairant toutes les données inhérentes de datation, d’origine et de texte.

Les deux éléments constitutifs de cette pièce curieuse ont été dissociés dans des circonstances inconnues. Le plus ancien (f. 81-82) présente un texte continu intitulé «Littérature» écrit d’une même main, avec réclame au f. 82v – la copie est donc incomplète. C’est le texte de Beuchot. L’écriture est celle du jeune Vuillaume, copiste attaché à Voltaire entre janvier 1753 et juin 1755: il était à son service au moment où d’Alembert pria Voltaire, en mai 1754, de penser à un article «Littérature». La copie porte en interligne des reports d’additions et de corrections de la main de Decroix, l’un des responsables de l’édition de Kehl, qui fut ensuite, à partir de 1817, le conseiller expert et généreux de Beuchot dans toutes ses tâches d’éditeur. On a un large échantillon de manuscrits Decroix, de 1764 à 1826; l’écriture est ici postérieure à celle des navettes éditoriales de Kehl, plus anguleuse, plus lourde: elle paraît correspondre aux années 1815-1820.

L’autre double feuillet (f. 48-49) ne présente que deux pages écrites, de la même main tardive de Decroix. Le premier recto porte une note de classement, le second la suite du texte de la copie, repris à la réclame du f. 82v, mais interrompu à nouveau au milieu d’une phrase. Ce deuxième feuillet a contenu le premier, le plus précieux, lui servant à la fois d’enveloppe et de complément. La note (f. 48r) éclaire ce montage et décrit une série complexe d’opérations d’écriture: «Fragment / trouvé dans les papiers de Voltaire / avec des corrections et additions de sa main. / Ceci est le double d’une autre copie, plus / ample de 8 ou 10 lignes, et sur laquelle on a / pris les corrections écrites par l’auteur, / telles qu’on les voit ici en interligne.» Au second recto (f. 49r), Decroix a écrit sous le texte recopié: «(le reste manque)».

C’est exactement ce texte, dans son état révisé, et coupé aux mêmes mots à la fin, que Beuchot publia en 1819 sous le titre «Littérature», en le présentant lui aussi comme un «fragment». On peut supposer sans risque, connaissant la qualité de leur collaboration, que Decroix lui avait remis la seconde copie dont parle sa note liminaire, plus intéressante matériellement que la copie originale puisque portant «les corrections écrites par l’auteur». Ainsi s’expliquerait le travail observé sur la copie Vuillaume: Decroix y a reporté les interventions de Voltaire et ajouté les «8 ou 10 lignes» supplémentaires prises de l’autre copie qu’il allait mettre à la disposition de son ami et successeur. Beuchot dit avoir utilisé «un manuscrit de la main de Wagnière, avec des corrections de la main de Voltaire»: l’indication n’a plus rien de suspect, elle cadre avec les faits et usages du scriptorium voltairien – un autre cas de filiation de copie de Vuillaume à Wagnière est signalé dans l’édition du Dictionnaire philosophique, présenté par Gerhardt Stenger, Flammarion (GF), 2010, p. 593-598.

4. Introduction

On pourra aisément reconstituer sur ces nouvelles bases une histoire plausible du texte, de l’origine aux derniers avatars – dont l’option malheureuse des OC fait désormais partie.

Quant aux changements opérés par Voltaire sur le premier état de cette ébauche, ils sont peu importants: une quinzaine d’interventions de forme et de style, ponctuelles pour la plupart. Eut-il l’idée de reprendre ce texte? La révision ne paraît pas relever d’un projet de remploi; la perte de la fin de la copie Vuillaume, l’inachèvement probable de la réécriture Wagnière vont dans le même sens: tout semble indiquer que le morceau de 1754 est resté comme fossilisé dans sa fonction de premier essai d’une conception et d’une pratique propres de l’article encyclopédique – ce qui rend d’autant plus précieux ce paradigme retrouvé.

 

© 2010 André Magnan et le Centre international d’étude du XVIIIe siècle