ISSN 2271-1813

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Dictionnaire de la presse française pendant la Révolution 1789-1799

C O M M A N D E R

   

Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 1092

OBSERVATIONS SUR LES ÉCRITS MODERNES (1735-1743)

1Titres Observations sur les écrits modernes.

Continuation du Nouvelliste du Parnasse; continué par les Jugements sur quelques ouvrages nouveaux.

2Dates 5 mai 1735 - 31 août 1743. Revue hebdomadaire. Le privilège, daté du 20 février 1735 (registré le 13 mars) et attribué à Chaubert pour trois ans, n'est publié qu'à la fin du t. III. La périodicité n'est pas annoncée, mais la datation de chaque livraison permet de croire que le libraire vise à une publication hebdomadaire: en moyenne de 50 à 60 livraisons par an, rassemblées en 4 tomes ou volumes. Cette régularité n'est sans doute que de façade: les 15 livraisons du t. I correspondent à 6 semaines, celles du t. II à 13 semaines, celles des tomes suivants à 12 semaines environ; on compte 25 semaines pour le t. XXIII (hiver 1740-1741), qui correspond à une suspension du journal. En donnant la date de la première et celle de la dernière livraison ou «lettre» de chaque tome, on obtient la chronologie suivante: t. I, 5 mai - 25 juin 1735 (Lettres 1-15); t. II, 1er juil. - 8 oct. 1735 (16-30); t. III, 14 oct.1735 - 14 janv. 1736 (31-45); t. IV, 21 janv. - 28 avril 1736 (46-60); t. V, 5 mai - 11 août 1736 (61-75); t. VI, 18 août - 10 nov. 1736 (76-90); t. VII, 17 nov. 1736 - 3 févr. 1737 (91-105); t. VIII, 23 févr. - 15 mai 1737 (106-120); t. IX, 25 mai - 3 août 1737 (121-135); t. X, 9 août - 26 oct. 1737 (136-150); t. XI, 2 nov. 1737 - 15 janv. 1738 (151-165); t. XII, 18 janv. - 30 mars 1738 (166-180); t. XIII, 12 avril - 28 juin 1738 (181-195); t. XIV, 5 juil. - 27 sept. 1738 (196-210); t. XV, 1er oct. - 17 déc. 1738 (211-225); t. XVI, 23 déc. 1738 - 14 mars 1739 (226-240); t. XVII, 18 mars - 6 juin 1739 (241-255); t. XVIII, 13 juin - 2 sept. 1739 (256-270); t. XIX, 5 sept. - 27 nov. 1739 (271-285); t. XX, 28 nov. 1739 - 27 févr. 1740 (286-300); t. XXI, 5 mars - 11 juin 1740 (301-315); t. XXII, 18 juin - 17 sept. 1740 (316-330); t. XXIII, 24 sept. 1740 - 27 mars 1741 (331-345); t. XXIV, 30 mars - 21 juin 1741 (346-360); t. XXV, 23 juin - 16 sept. 1741 (361-375); t. XXVI, 23 sept. - 13 déc. 1741 (376-390); t. XXVII, 16 déc. 1741 - 10 mars 1742 (391-405); t. XXVIII, 17 mars - 8 juin 1742 (406-420); t. XXIX, 9 juin - 29 août 1742 (421-435); t. XXX, 1er sept. - 29 sept. 1742 (436-450); t. XXXI, 24 nov. 1742 - 16 févr. 1743 (451-465); t. XXXII, 23 févr. - 11 mai 1743 (466-480); t. XXXIII, 18 mai - 12 août 1743 (481-495); t. XXXIV, 17 août - 31 août 1743 (496-498).

3Description La collection complète comprend 498 livraisons, en 34 tomes ou volumes, le dernier tome ne comportant que trois livraisons. Chaque volume compte 360 p. Chaque livraison ou «lettre» est faite d'une feuille de 24 p. in-12, 92 x 162.

4Publication «A Paris; Chez Chaubert, à l'entrée du Quay des Augustins, du côté du Pont S. Michel, à la Renommée & à la Prudence».

La mention «De L'Imprimerie de Joseph Bullot, rüe de la Parcheminerie» apparaît au t. IV en 1736, puis régulièrement à partir du t. XIV.

A partir du t. XXVIII, le libraire annonce qu'en raison de la «multiplicité des volumes», il les vendra séparément, en feuilles, au prix de 2 # 5 s. (p. 360).

5Collaborateurs Pierre-François Guyot DESFONTAINES et François GRANET. La mention «Par MM. Desfontaines et Granet» apparaît seulement sur la page de titre des t. XXI, XXII et XXIII; mais dans son éloge de Granet (t. XXIV, Lettre 352), Desfontaines affirme que Granet fut son associé dès le début et le resta «durant sept ans» (p. 165), soit de mai 1735 à février 1741, époque de sa mort. Desfontaines eut certainement des collaborateurs passagers: on a nommé J. Destrées, qui a signé quelques dissertations sans plus (T. Morris, p. 105), Adrien Maurice Mairault, qui, selon l'Esprit de l'abbé Desfontaines, aurait rédigé la plus grande part du t. X et le t. XI en entier (T. Morris, p. 105). Fréron eut sans doute un rôle important après la mort de Granet (idem, p. 104). On pourrait aussi nommer Diderot, qui a affirmé, dans une déclaration faite au lieutenant de police en 1749, qu'il y avait dans les Observations «plusieurs morceaux de [sa] façon». Comme cette collaboration fut certainement tardive, on serait porté à croire que Diderot est de ceux qui ont suppléé Granet à partir de 1741 (t. XXI et suiv.), peut-être pour les Salons (t. XXII, Lettre 327; t. XXV, Lettre 374) ou pour des traductions de mémoires scientifiques (t. XXI, Lettre 303; t. XXII, Lettre 329), voire pour tel compte rendu peu conforme aux positions de Desfontaines (cf. les idées sur le «drame» exposées dans le t. XXV, Lettre 362, p. 27-28).

6Contenu Dans sa première lettre, Desfontaines considère les Observations comme une suite du Nouvelliste du Parnasse, interdit en 1732; la forme est la même, celle de la lettre personnelle; le contenu est le même, celui d'une revue littéraire et érudite, qui donne à la fois des «jugements sur quelques ouvrages nouveaux» — comme le dira le titre du dernier journal de Desfontaines — et des dissertations sur toutes sortes de sujets savants (histoire, archéologie, sciences physiques, médecine, etc.). Comme dans le Nouvelliste, Desfontaines se préoccupe essentiellement de littérature et se considère comme un arbitre du goût; il le dit dans son éloge de Granet: «Notre soin principal étoit de rendre nos critiques solides, équitables, & modérées, & autant qu'il nous étoit possible, de veiller pour ainsi-dire, à la porte du Temple du Goût, pour empêcher l'irruption de l'ignorance & du faux bel-esprit» (t. XXIV, p. 165-166). On retrouve donc dans les Observations ce qui avait rendu célèbre Desfontaines: son antipathie affirmée pour le goût «moderne», précieux, «métaphysique», qu'il traque chez Houdar de La Motte, Fontenelle, Trublet et surtout Marivaux; sa résistance aux idées nouvelles, à l'irréligion, au libéralisme, qu'il voit incarnés par Voltaire, au lendemain de la publication des Lettres philosophiques; son attachement aux règles de la tragédie et de la comédie classiques, qui entraîne une condamnation sans appel de la «comédie larmoyante», chez La Chaussée en particulier; son refus du romanesque, qui se traduit dans ses critiques de Prévost, mais aussi par la condamnation du libertinage des nouveaux romans. Cette critique conservatrice se double d'une réelle ouverture d'esprit; Desfontaines sait aussi s'enthousiasmer pour Pamela, dont il déclare avoir lu trois tomes en une journée (t. XXIX, p. 70-71), comme il sait à l'occasion défendre les romans de Prévost contre le R.P. Bougeant (t. I, Lettre 6). Par rapport au Nouvelliste, on remarquera dans les Observations un intérêt accru pour les grandes querelles scientifiques (sur l'attraction, sur le débat entre chirurgiens et médecins) et pour les débats érudits sur l'histoire de France et sur la littérature ancienne: les lettres de correspondants et les réponses des deux journalistes sont nombreuses. Peut-être faut-il attribuer cette évolution de Desfontaines à l'influence de Prévost: la concurrence entre les Observations et Le Pour et Contre est évidente, et Desfontaines ne se prive pas de poursuivre Prévost sur son terrain et de le contredire: les ouvrages dont ils rendent compte sont sensiblement les mêmes, et Prévost semble souvent avoir l'initiative (dans le débat sur la chirurgie, dans la discussion des thèses économiques de Melon et Dutot, ou dans le débat sur la nature de la poésie). On sent souvent chez Desfontaines le souci un peu opportuniste d'être présent dans tous les débats où brille son rival, alors que son goût l'entraînerait plutôt vers la critique théâtrale ou romanesque, ou vers l'analyse de la traduction (du latin ou de l'anglais): il suffit de voir les essais et les traductions (de Virgile, de Fielding, etc.) qu'il publie à la même époque, pour sentir où l'entraînent ses préférences.

Tables à la fin des t. IV, VIII, XII, XVI, XX, XXIV, XXVIII, XXXII.

7Exemplaires B.M. Grenoble, F 18952; B.M. Lyon, 340592; B.M. Bordeaux, H 18749; B.N., Z 56927-56959; Ars., 8º H 26513 et 8º H 26419. Certaines collections comportent des rééditions des premiers tomes en 1736 (Bordeaux, H 18749; B.N., Z 56960-56963).

8Bibliographie H.G.P. – [Giraud et La Porte], L'Esprit de l'abbé Desfontaines, Paris, 1757, 4 vol. – Morris T., L'Abbé Desfontaines et son rôle dans la littérature de son temps, Studies on Voltaire, t. XIX, 1961. – Nyoma P., La Critique littéraire de Desfontaines, thèse de 3e cycle, dact., Grenoble, 1973. – Benhamou P., «Les lecteurs des périodiques de Desfontaines», dans La Diffusion, p. 139-151. – Sgard J., «Voltaire et la passion du journalisme», dans Le Siècle de Voltaire. Hommage à René Pomeau, Oxford, Voltaire Foundation, 1987, t. II, p. 847-854.

Historique La publication des Observations a certainement constitué un événement dans le monde littéraire des années 1730: le souvenir de la chute du Nouvelliste du Parnasse était encore dans toutes les mémoires; la témérité et l'esprit caustique de Desfontaines étaient célèbres, et l'on semble attendre à chaque instant sa chute. C'est à Desfontaines que convient, plus qu'à un autre, l'image, développée par Prévost, d'un Pégase juché sur un cheval indocile (Le Pour et Contre, t. I, p. 5). Fort de son nouveau privilège, obtenu le 13 mars 1735, Desfontaines, aidé de Granet, se lance dans la carrière en avril. Dès le début, son association avec Granet est publique: Anfossi écrit à Caumont, le 1er avril: «Voici donc l'abbé Granet de nouveau associé avec l'abbé Desfontaines» (cité par F. Weil dans L'Interdiction du roman et la Librairie, Aux Amateurs de Livres, 1986, p. 166). Marais signale, le 3 juillet, que Granet est l'auteur de la 15e lettre (Correspondance littéraire du président Bouhier, t. XIV, p. 14), et peut-être même, après la première suspension du journal, l'auteur principal (14 déc. 1736, ibid., t. XIV, p. 219). L'abbé d'Olivet écrit: «Ces deux abbés sont associés et font en commun les Observations qui paraissent tous les huits jours. Desfontaines écrit mieux. Granet a plus de savoir. Du reste ils sont aussi hardis l'un que l'autre» (ibid., t. IV, p. 223, 14 sept. 1736). Goujet considère qu'ils font chacun leur feuille «alternativement» (t. II, p. 48, 9 juin 1740). Comme l'a noté F. Weil, cette alternance est visible dans le t. I, les feuilles rédigées par Desfontaines étant signées D et celles de Granet G (p. 164). Chacun donne à son tour deux feuilles. Toutefois, selon l'abbé d'Olivet, Desfontaines se réserve «le droit de revoir les épreuves et d'y faire des changements» (Correspondance littéraire du président Bouhier, t. IV, p. 232, lettre du 21 janvier 1737). Après la suspension de 1740, les rôles sont inversés: c'est Granet qui devient le principal responsable et qui revoit les épreuves.

L'histoire du journal est assez mouvementée. Dès les premières «lettres», il est évident que Desfontaines sacrifie volontiers à la polémique; il prend à partie Prévost et son Pour et Contre, comme il prendra à partie Voltaire, les Modernes, les «métaphysiciens du sentiment», les partisans du poème en prose. Toutefois, ce sont d'autres polémiques, extérieures au journal, qui mettront celui-ci en danger. En janvier 1736, Desfontaines est poursuivi pour complicité dans une affaire de satire contre l'Académie (voir T. Morris, p. 73-76 et les lettres de l'abbé d'Olivet dans la Correspondance littéraire du président Bouhier, t. IV, p. 208-210). Le journal est suspendu en principe pour six mois; Desfontaines trouve refuge à l'Isle Adam, où la princesse de Conti ménage son retour en grâce, tandis que Granet fait paraître les Observations: aucune feuille ne manque, dans le t. IV, entre le 15 janvier et le 28 avril 1736. A la fin de l'année 1740, Desfontaines ayant eu l'imprudence d'attaquer une édition de Boileau protégée par le chancelier d'Argenson, le journal est de nouveau suspendu pour six mois (Goujet à Bouhier, 13 nov. 1740, Correspondance, t. II, p. 51); le retard accusé dans la publication de la revue est visible au t. XXIII. Desfontaines n'obtient de poursuivre la publication qu'à des conditions humiliantes: «On n'imprimera rien qui ne soit paraphé par l'abbé Granet son associé dans cet ouvrage; et il est défendu de lui envoyer plus d'une épreuve, de peur qu'il n'y change quelque chose» (Secousse à Bouhier, 16 févr. 1741, Correspondance, t. I, p. 40; voir T. Morris, p. 67-68). De nouvelles attaques contre l'Académie, exploitées par ses nombreux adversaires (T. Morris, p. 70-73) provoquent la troisième crise en septembre 1743; un arrêt du Conseil d'Etat du 6 septembre supprime le privilège de Desfontaines; Secousse écrit à Bouhier: «Comme il se doutait avec raison que ses affaires pourraient tourner mal, il prit la fuite vendredi matin. On ne sait pas de quel côté il a pris. Un jeune homme nommé Fréron, qui était un de ses aides, a jugé à propos de se retirer aussi» (8 sept. 1743, Correspondance, t. I, p. 329; voir T. Morris, p. 73). Peut-être s'en allait-il, avec son ami Fréron, à Avignon, où paraissent, quelques mois plus tard, les Jugements sur quelques ouvrages nouveaux. Ces épisodes tumultueux ne doivent pas cacher la tolérance dont Desfontaines a été l'objet, de la part du clan Conti certainement, mais aussi du Chancelier, qui doit tenir compte de l'opinion et de la faveur dont jouit Desfontaines. Ses lecteurs ont été nombreux, et les témoignages réunis par P. Benhamou montrent le très vif intérêt suscité par les Observations («Les lecteurs des périodiques de Desfontaines», dans La Diffusion, p. 141-144). L'exemple de Voltaire, ennemi juré de l'abbé, est assez révélateur: il mène contre Desfontaines, à l'époque de la Voltairomanie, une campagne sans merci; mais il ne cesse pas de lire les Observations, dont il tient à avoir la collection complète (cf. J. Sgard, «Voltaire et la passion du journalisme», p. 853-854).

Cet intérêt unanime se comprend assez bien: outre son intrépidité, son impertinence, son esprit satirique, Desfontaines apportait au journalisme littéraire une force de conviction qui lui avait fait le plus souvent défaut. Il attaque avec une belle opiniâtreté le néologisme, la métaphysique du sentiment, le roman sentimental, la comédie larmoyante, mais aussi le jansénisme ou la nouvelle philosophie. Même si sa vénalité est notoire et sa duplicité bien établie, même s'il lui arrive de donner des gages aux jésuites, notamment dans la querelle du roman en 1736, il paraît le plus souvent préférer la littérature à toute forme d'idéologie, et ses goûts personnels à toute prudence. Cette liberté de jugement était sans exemple alors, et c'est ce qui a valu sans doute à Desfontaines un succès qui ne s'est pas démenti tout au long de la publication de ses trois revues, et notamment des 33 volumes des Observations.

Jean SGARD

 


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